Sacre – Élie Monferier
Au début il y avait le Monde.
Puis il y eut l’Homme enfanté par la sauvagerie de la Nature.
Et le Monde a continué et l’Homme s’est assagi, affadi. Las, il n’est plus que l’ombre sur la paroi d’une caverne.
Mais avec Sacre, Élie Monferier produit la chronique d’un monde mourant qui refuse la Mort.
©Élie Monferier |
» Une ivresse du diable »
La montagne est toujours là, immuable et offre dans ses nuages la pluie, la vie. L’Homme, lui, court après la joie, l’amour et l’argent, s’oubliant et oubliant la forêt, encore elle, qui l’abrita et le nourrit.
Alors, on se perd, on se heurte.
Les poings griffent les portes, les visages sont bleuis, ensanglantés.
Une femme vieillissante contemple les corps dénudés de celles qui prendront sa place.
Le Monde tournoie et on se saoule pour ne pas oublier que nous sommes en vie.
» Les phares des voitures se jettent dans les fossés. »
©Élie Monferier |
« Ici les frontières ont la densité du brouillard. »
Tout est tragique, amer et Élie Monferier nous propose, avec ce livre, si ce n’est de l’espoir, au moins une possibilité que les choses ne dérivent pas plus.
» Un poète mort n’écrit plus. D’où l’importance de rester vivant. » écrivait Michel Houllebecq. Ceci vaut aussi pour un photographe, pour un univers de gens. Et ça, même si la Vie suppose le drame, la chute et la fin.
Parce que, comme semble nous dire Élie, ce déclin immuable des confins laisse tout de même la possibilité de l’Etre.
Alors, on retrouve des mains calleuses, aux gros doigts noueux, des enfants et le cadavre que l’on dépèce.
Ce monde rural où les limites des bois, des champs se nomment de tête ; où l’effraie empaillée orne le buffet.
Ces espaces immenses avec la neige, le vent et des Hommes aux chaussures lourdes de terre et de fatigue.
» C’est là qu’on allait enfants. On jouait là. »
©Élie Monferier |
» Cherchons les rares moments où l’on va au vif du sujet […] «
Comme dans les précédents ouvrages, Sang Noir ou Fable, Sacre ramène à un sentiment de perte, de puissance sauvage.
Le sacré, le profane se mêlent dans l’incertain des jours. Les corps exultent, mais dans le même temps la balafre coupe le dos.
Élie nous entraîne dans cette sarabande, sans nous laisser la possibilité, ni même le choix, de respirer. L’élan est vital.
Il ne faut rien oublier de ce qui a été, rien. Le monde rural se meurt, on perd les traces des limites. La sauvagine envahi les taillis.
Qu’importe, on peut encore boire, beugler et s’aimer.
On peut toujours contempler la neige et croire que tout est possible. Au moins une dernière fois, au moins une dernière nuit.
» Il n’y a que le désir, l’énergie vitale, la sensation. »
©Élie Monferier |
Enfin.
On arrive au bout.
Désorientés, confus, mais qu’y pouvons-nous ?
Rien.
Il faudra attendre le troisième volume de cette saga pour, peut-être, y voir plus clair.
Ou peut-être pas.
Après tout l’eau coule des roches encore et encore et qui sommes-nous pour prétendre à savoir ?
Personne.
Juste des Hommes de chair et de sang, perdus et agités par le maelstrom de la Vie.
Pour le moment nous sommes vivants.
Et c’est l’essentiel.