Sanguinaires – Didier Ben Loulou
Pour Platon « Le temps est l’image mobile de l’éternité immobile » et, lisant Sanguinaires de Didier Ben Loulou, aux éditions La Table Ronde, il semble que l’étirement du temps, sa course de plus en plus lente nous rapproche d’une Eternité presque immémoriale.
Didier Ben Loulou, poursuivant son travail photographique sur l’ensemble méditerranéen, a choisi la Corse, plus précisément une route longeant le littoral entre Ajaccio et la presqu’île de la Parata, comme sujet de son livre.
Parce que ce lieu, baptisé des îles qui lui font face, ouvre par son appellation même tout un infini de violences. Dire sanguinaires c’est invoquer des hordes barbaresques, guerres navales et fratricides, batailles désenchantées au cœur d’une Méditerranée théâtre de tant de combats.
C’est le rouge du sang, de la lutte, de ces innombrables morts qui jonchent le berceau de l’Humanité.
©Didier Ben Loulou |
Et pourtant, quel choc à la lecture, que ces lieux portent mal leur nom !
Ici, un sentiment de paix profonde, de douceur sereine saisi le lecteur.
Une pastèque offrande d’une fin d’été éclaboussée de lumière.
La côte découpée de lumière dans l’ombre du soir.
Un poulain, quelques oranges, une nuque mouillée de mer.
Tout est sérénité retrouvée, calme.
Si par moment le vent se lève ce n’est que pour agiter la mer, faire grossir des vagues dans le grondement de l’écume, soulever le drapeau rouge de la baignade dangereuse.
Si les ciels sont morcelés, les nuages noirs d’inquiétude tranquille, ce n’est que pour nous rappeler que nous ne sommes, nous Hommes, que les fétus d’une paille jonchant un carrelage.
Et qu’il ne faut rien compter pour acquis.
©Didier Ben Loulou |
Le temps est mobile et l’éternité immobile, oui.
Et nous pouvons, un instant, penser ces lieux comme le palimpseste de la Création.
Cent fois échoués ces rouleaux sur le sable, cent fois éclose cette fleur jaune ; la lumière baignant les lieux chaque jour, chaque heure, de ses lueurs toujours identiques, toujours différentes.
Sanguinaires sonne, peut-être, comme un retour à la permanence. Un monde en soi où l’ennui recréera sans cesse de nouvelles histoires, de nouveaux instants à accomplir.
©Didier Ben Loulou |
Parfois un homme, un enfant, insaisissables silhouettes, traversent les paysages. Mais voilà que déjà ils disparaissent laissant les lieux redevenir ce qu’ils sont depuis plusieurs siècles. Nos vies sont fugaces, nos empreintes aussi et si demain nous ne sommes plus là, qu’importe, il restera la Beauté, le soleil, ces rives battues de mistral et de lumière.
Avec Sanguinaires, Didier Ben Loulou nous entraîne dans un cheminement introspectif, nous invite à la contemplation de l’immuable, de la simplicité même.
Devant ces spectacles comment ne pas concevoir, un instant, que le Temps nous appartient et qu’il ne tient qu’à nous de le ralentir, le dilater, l’étirer pour approcher l’Eternité ?
©Didier Ben Loulou |
Il faut laisser derrière nous les batailles, la rage, pour nous approprier la vie et le long souffle du vent.
Il faut patienter avec le photographe en haut des corniches, face au mur de la chambre.
Il faut, enfin, s’asseoir, laisser les couleurs, l’harmonie, advenir.
Puis sentir nos âmes s’élever.
A la toute fin, fermer les yeux et savourer ce temps devenu immobile dans la magie de l’Instant.
Site de Didier Ben Loulou
Site des éditions La Table Ronde