En s’enfonçant dans la forêt – Christine Delory-Momberger
En s’enfonçant dans la forêt par
Christine Delory-Momberger, paru chez Arnaud Bizalion éditeur, marque un
passage subtil dans le travail de la photographe.
Après le tryptique Exils/Réminiscences1,
où s’élaborait cette enquête, cette fouille de l’intime qui sera définie et
mise en mots dans les ouvrages Le pouvoir de l’intime2 et Insurrection
créatrice3 co-écrits avec Valentin Bardawil, Christine nous propose ici
un livre pivot qui donne une nouvelle orientation à son travail photographique.
Christine Delory©Agence Révélateur |
Le temps a passé. La mémoire
s’est effacée, encore plus, enfuie et la mère n’était plus là avant que de ne plus être. Et,
la forêt est ce lieu
qu’il va falloir affronter, appréhender. Forêt métaphorique de ce qui
adviendra une fois nos morts enterrés, oubliés peut-être. Forêt métaphorique de
ce qu’il nous reste d’opaque à vivre, encore.
Toutefois, il s’agit ici plutôt
d’un passage. D’une transmission ? La mère, cette figure centrale des
ouvrages précédents, n’est plus. La mort l’a emportée, elle aussi, comme tant d’autres de sa famille, de ses proches.. Et Christine Delory devient alors tout autant la passeuse que la voyageuse.
Christine Delory©Agence Révélateur |
Se pose la question : si
Christine n’était pas la mémoire, que resterait-il ? Un brouillard, un
vide et la forêt qui se refermerait, muette. Des visages oubliés, des figures
blanchies par le temps.
L’intime, plus que jamais, est au
cœur de cet ouvrage d’une sensibilité extrême.
Mis en page d’une manière
remarquable par Dominique Mérigard le livre s’ouvre et se regarde d’un côté sur les photographies de
Christine et en le retournant sur des textes poétiques.
Dans les deux cas une force happe
le lecteur, l’amenant à rebours du monde. La photographe, en archéologue de la
mémoire, en accoucheuse des disparus, nous entraîne dans ses pas. La mère revient
page après page sous des formes différentes, comme surgies d’une mémoire qui hésite,
croit se souvenir et s’émeut, donnant au livre un axe, une verticalité qui élève.
Mais des couples se tenant la main aux enfants anonymes, ces petits morts si
prégnants dans ses ouvrages, les images de Christine Delory nous invitent à
plonger à travers les brumes de l’opacité. Elles creusent, s’enfoncent dans cette forêt car
« la voie droite est perdue. » (Dante). Et surtout elles sauvent de
l’oubli. Car c’est au fond la pire des choses qu’il pourrait arriver :
être oublié, s’oublier.
N’être plus qu’une photographie
qu’un jour on déchire ou jette.
Christine Delory©Agence Révélateur |
Maintenant réunis par les mots,
les images, aux côtés de la mère, émergent les figures du père, posant des
rails qui amenèrent vers l’Est d’autres Hommes vers les forêts du Mal, les petits morts,
fratrie maternelle depuis tant de temps évanouie, sa fille et les histoires lues
autrefois.
Le pont entre le passé, le
présent, les vivants, les disparus prend par le travail de Christine Delory la
forme de ce livre magnifique.
Christine Delory©Agence Révélateur |
La photographe-auteure devient
une fois de plus l’enquêtrice de sa propre vie, la narratrice de son intime.
Mais, une fois la lecture d’ « En s’enfonçant dans la forêt » achevée
force est de constater que le passé est maintenant presque découvert, su. Et
que la forêt est là, immense et sombre, devant elle, devant nous.
Et qu’il va falloir la traverser,
jusqu’à son cœur pour un dernier voyage. Un passage.
1 : Exils/Réminiscences – C.DELORY-MOMBERGER – Arnaud Bizalion éditeur – 2019
2 : Le pouvoir de l’intime – C.DELORY-MOMBERGER/V.BARDAWIL – Arnaud Bizalion éditeur – 2020
3 : Insurrection
créatrice – C.DELORY-MOMBERGER/V.BARDAWIL – Arnaud Bizalion éditeur – 2020
Site de Christine Delory-Momberger
Site de Arnaud Bizalion éditeur
Christine Delory-Momberger est représentée par l’agence révélateur