Crépuscules – Irène Jonas
Quelques fois, la sensation que tout a été dit sur le nazisme, l’Allemagne nazie et l’apocalypse que fût la période de 1933 à 1945 peut naître face à l’abondance de littératures, de films, d’œuvres évoquant cette époque.
Pourtant, Crépuscules par Irène Jonas aux Editions de Juillet, prouve qu’il existe encore bien des façons de l’évoquer et que l’oubli ne doit pas être possible.
©Irène Jonas |
Fille d’un juif lituanien, née à la fin des années 1950, Irène n’a pas connu la guerre. Pourtant durant son enfance elle saisi des bribes de conversations, des images à la télévision sur la tragédie nazie. Son père la surnomme « Fleur du ghetto ». Par cela, elle se forge un imaginaire qui l’accompagnera sa vie entière.
Crépuscules devient, en quelque sorte, la mise en regard de celui-ci.
Mais, il ne s’agit en aucun cas d’un documentaire froid, lisse, un « catalogue » des atrocités nazies tels qu’ils pullulent sur les chaines de télévision. Non. Il s’agit ici d’un voyage intime, à travers des lieux historiques bien sûr (Berlin, les camps, l’île de Rügen), mais surtout aux confins de Soi, des souvenirs, de l’Etre.
Une jeune femme s’enfonce dans un bois, des hommes marchent dans une forêt enneigée, une fillette dans un bus porte un adorable bonnet vieux-rose. Sont-ils des fuyards, des prisonniers d’une de ces innommables marches de la mort, des victimes d’une rafle?
Nul ne sait.
Chacun peut s’imaginer.
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Les photographies d’Irène, noir et blanc, sont réhaussées de peinture à l’huile conférant à son travail une sorte d’atemporalité, comme si le lecteur ne savait plus si les clichés datent d’il y a un an ou 80.
C’est la première des qualités de ce livre: jamais l’auteure ne nous impose ses vues, le choix existe toujours entre ici et maintenant, hier et là-bas. Parfois le XXIème siècle ressurgit, très légèrement, brouillant un peu plus les pistes. Comme pour nous rappeler que bien des années après que le conflit soit achevé, le nazisme abattu, la Bête n’est jamais réellement morte.
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C’est le seconde force de cet ouvrage, ce qui lui donne un élan qui dépasse la simple beauté, la simple évidence des images: il nous invite à ne pas oublier ce pan de nos Histoires.
L’histoire personnelle, l’enfant qui chaque soir cache une valise dans son placard de peur que les nazis ne viennent, croise, se heurte, à l’Histoire et ses abominations. Et par ces clichés à la temporalité changeante, à la lumière vacillante, incertaine, on ne peut s’empêcher de penser que ce qui est advenu il y a plus d’un demi siècle et dont la majorité des protagonistes n’est plus là pour témoigner, pourrait très bien recommencer demain. C’est à nous les enfants et petits-enfants de ceux qui connurent cette époque de tout faire pour qu’elle reste vivante.
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Avec Crépuscules, Irène Jonas a su faire une immense œuvre. Tout à la fois elle y traduit ses souvenirs brumeux de l’enfance et nous met, par ailleurs, si ce n’est en garde, tout au moins face à nos responsabilités. L’Histoire est un éternel recommencement disent certain; mais l’Histoire c’est aussi regarder le présent et tenter d’y déceler des traces du passé.
Et ces photographies deviennent un pont, le lien entre les H-h-istoires qui nous permet de ne pas annihiler le passé.
Le livre est accompagné de deux textes écrits par Alain Keler et Camille De Toledo.
Le site des Editions de Juillet
Irène Jonas est représentée par l’Agence Révélateur